CR - Taupe Août 2001
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- Catégorie : Compte-rendu
- Création : mardi 21 août 2001 01:40
- Affichages : 2490
La Taupe , 18 , 19 et 20 août 2001 .
Jean-Christophe , Roger et Alain .
Vendredi 17, 17h30 .
Jean-Christophe et moi cueillons Roger chez lui , de retour de son expédition hebdomadaire à Saint-Etienne . Nous sommes tous trois remontés comme des pendules à quartz- progrès oblige - et sommes bien décidés à faire cracher le morceau à la vieille Taupe .
Le parcours est avalé sans problèmes et nous plantons la tente entre les vaches et leurs bouses , sous le col d'Ahusquy vers deux heures du mat.
Samedi 18 , 8h30 .
Un con klaxonne en passant près de nous . Y se croit où çui là ? Petit déj. On prépare les kits .
L’objectif du ouiquende est de passer le « lac » découvert en juillet et la voûte basse qui lui fait suite . Il faut donc descendre le canot , pour Jean-Christophe et moi . Roger quant à lui , déçu de ne pas avoir inventé l’eau chaude , nous fait l’article sur sa dernière trouvaille
hi-tech , un ensemble coordonné du dernier chic constitué d’une pontonnière , d’une chambre à air de fourgonnette et d’un superbe gilet de sauvetage jaune ...
Nous décidons également de transférer le bivouac au delà de l’ébouli , dans une salle repérée au dessus de la rivière , vers -550 .
Jean-Christophe nous impressionne en faisant tenir sa bouffe pour trois jours dans un paquet à cigarettes .
Montée vers l’entrée . Le temps est maussade , sans plus . La météo n’annonce pas de pluie , et même carrément du beau temps pour dimanche et lundi . C’est pas plus mal car on subodore que ça peut craindre sérieux dans l’ébouli en cas de flotte ( subodorer , du latin sub , en dessous , et odorari , tout le monde à compris : licence poètique largement utilisée chez les spéléos pour faire comprendre sans le froisser au copain amateur de cassoulet en conserve que ça serait pas mal s’il pouvait rester derrière ; « je subodore que tu préfères déséquiper ? »)
Nous téléphonons chez Stéphane Vogrig et Nathalie Vanara pour leur dire que nous descendons et qu’ils ne commencent à s’inquiéter que s’ils ne nous voient pas lundi à vingt heures .
Casse-croûte , et c’est parti , nous nous engouffrons joyeusement ( contraction de « nous nous enfilons dans le gouffre » ). Il est pile midi .
Descente sans mystère , ça devient d’un routinier ...
Trois - quatre heures plus tard , atterrissage dans la Cathédrale , puis courte escalade vers le bivouac pour y récupérer duvets , couvertures de survie , popotes .
C’est là que ça se corse . Mon goût pour le confort petit-bourgeois me fait embarquer le superbe matelas mousse laissé par Pascal . Evidemment ça ne tient pas dans les kits , je l’emballe donc dans un paquet-cadeau constitué de trois couches de sacs poubelles .
Funeste erreur .
Nous voilà repartis , avec en ce qui me concerne deux kits , l’un de bouffe et vêtements de rechange , l’autre avec le duvet également taxé à Pascal et quelques bricoles , enfin les susdits sacs poubelles .
La Moule , puits de Jumelles , puits des Trois Cloches ( une horreur ) . Premiers emmerdements . Le puits est oblique , comporte un petit étranglement au milieu , les parois sont extrêmement accrocheuses et il est équipé en huit mm . Je valse puis me coince à de nombreuse et désagréables reprises . J’y laisse des lambeaux de sac poubelle , le cul de ma combinaison - ça je ne le verrai que plus tard - et énormément d’énergie .
Galerie Golade , shunt Hanimanarah , ça continue à merder .
Puits de la Lutte des Classes , rivière des Hommes Pressés , là c’est large .
Pas pour longtemps .
Nous voilà devant l’ébouli qui nous avait arrêté à la Toussaint 2000 et que Roger , Pascal et Jean-Christophe ont franchi au mois de juillet .
Roger est parti en boulet de canon - il sent l’écurie , la carne - Jean-Christophe a la bonté de m’attendre pour négocier les passages les plus merdiques .
Après l’ébouli ( environ trente mètres ) qui finalement se passe plutôt bien , on retrouve la rivière que l’on suit dans un magnifique canyon , entrecoupé de ressauts et chaos moins hermétiques que le premier .
C’est magnifique . On vient de pénétrer dans un nouveau gouffre . Ce n’est plus notre Taupe , on nous l’a changée .
En attendant j’en bave des ronds de chapeau et je continue de semer des papillons de plastique bleu le long du chemin .
Vers dix-neuf heures trente , on se retrouve tous à l’endroit préssenti ( voir subodorer , c’est pareil , sauf que là , le cassoulet en conserve pue déjà avant ) pour le nouveau camp .
C’est une galerie sèche , voire poussiéreuse , quelques métres au dessus de la rivière , d’une bonne dizaine de mètres de long sur quatre de large . Sur un côté des blocs et la oaroi recouverte de cristaux de gypse , sur l’autre un talus terreux .
Nous nous activons - comme si on n’avait pas eu notre dose - et installons une succursale du Club Med . Banquettes douillettes ( plus besoin de hamac ) terrassées au marteau de géologue dans le talus , baldaquins du plus bel effet en couvertures de survie , coin repas , cuisine américaine , eau et gaz à tous les étages , cabinet d’aisance au fond à gauche .
A dix heures et demi , ça ronfle .
Dimanche 19 .
Nous voilà partis pour une séance topo , certainement une des plus facile depuis le début des explos dans la Taupe : des visées de dix ou quinze mètres , pas de puits , pas d’étroitures , du nanant . Et puis qu’est-ce que c’est chouette !
Pause casse-croûte et ça continue . Jusque vers dix-sept heures nous topographions environ huit cent mètres de galerie , et les départs de deux affluents .
Nous nous trouvons maintenant au « lac », terminus de la virée du mois de juillet .
On gonfle le canot : Roger lui s’est dégonflé et laisse son matériel révolutionnaire au vestiaire . C’est Jean-Christophe qui part en reconnaissance boudiné dans le gilet de sauvetage ( on ne sait jamais , en cas de tempête ) .
On agite nos mouchoirs alors qu’il disparaît dans un halo de lumière surnaturelle au passage de la voûte basse .
Dix minute plus tard il est de retour : ça continue .
Un long débat s’engage alors ; il y a en fait deux passages bas avec une cloche entre les deux , mais la rivière bifurque à cet endroit . Allons nous pouvoir rappeler la péniche avec une cordelette lorsque le premier sera passé ? Et plus dramatique encore , si elle se coince au milieu au cours de la manoeuvre ? Nos héros sauront-ils déjouer les pièges tendus par les forces obscures d’avant l’invention de l’acétylène ? La malédiction de la Taupe sera-t-elle levée ? Devront ils naviguer à voile ou à vapeur ?
Vous le saurez en découvrant avec nous la suite de leurs fabuleuses aventures dans la prochaine livraison de votre revue préférée .
Résumé des épisodes précédents .
Ils sont trois , ils sont beaux , ils sont riches , ils sont jeunes , et ils s’emmerdent à essayer de franchir un putain de marigot à six cent mètres de profondeur , comme si y’avait pas autre chose à faire un dimanche au mois d’août . Et puis pourquoi tant de haine ? L’existence précède-t-elle l’essence ?...
Après vingt bonne minutes de palabres , on décide d’y aller quand même . C’est Roger qui embarque . Arrivé sous la première voûte basse - environ soixante centimètres de tirant d’air , valeur utile dans la marine à voiles - notre Alain Gerbault des profondeur se met à tanguer dangereusement , agite désespérément les bras en tous sens tel un sémaphore devenu fou - appareil fort usité dans la navigation à vapeur - ne parvient pas à passer l’obstacle et fait piteusement demi tour , le kit entre les jambes . C’est pas son jour .
Jean-Christophe repart , il réussi à me renvoyer le youyou et je largue les amarres à mon tour .
Les passages sont vraiment bas et il faut être complètement allongé sur la piste d’appontage pour passer sans encombres . On est toutefois bien aidé par un formidable courant d’air aspirant (de marine) qui souffle nos flammes au passage .
De l’autre côté , on retrouve la plage et une belle galerie horizontale . Roger semble s’être refait une santé ; je tente de lui renvoyer le paquebot , mais les cinq ou six tentatives sont toutes infructueuses , les vents contraires le drossent invariablement à la côte . Le capitaine est resté au port , les matelots continuent l’exploration sans lui , vers des rivages immaculés où d’accortes vahinées leur chanteront les derniers tubes du « taupe 50 ».
Bref .
Pour l’instant on n’est plus que deux , mais l’appel du large est le plus fort ... Au bout d’une trentaine de mètres , la rivière cascade par deux petits ressauts taillés dans une roche noire veinée de je ne sais quoi ( mais c’est bien blanc ) qui forme des crêtes de dinosaures et des dents de dragons . C’est superbe . Encore quelques mètres et l’eau file dans un toboggan qui la précipite une dizaine de mètres plus bas . On équipe ( au tamponnoir ) pour ne pas en faire autant . Main courante , tête de puits , déviateur . Et hop , c’était le puits de la goulotte .
On atterri sur des lames acérées qui bordent la vasque où la flotte chûte . Nous sommes de nouveau dans un méandre dont on ne voit pas le haut . Derrière la cascade , comme dans Tintin , une bouche noire par où arrive un affluent . Manque de bol il faudrait se baigner et se doucher pour y aller . Non merci , c’est pas dimanche ( « Mais si c’est dimanche ». »Oui mais je me suis lavé dimanche dernier ». « Ah bon ».)
Nous n’avons plus de corde et un autre ressaut se présente . De toute façon on n’a plus d’amarrages non plus .
Tu crois lecteur que ça va nous arrêter ?
D’autant que tu sais par des indiscrétions que le bas du ressaut est presque entièrement occupé par une profonde vasque .
Et bien que dalle , c’est pas encore pour ce coup là !
Nous coupons le reliquat de la corde du puits de la goulotte et l’attachons sur une lame , dans l’eau . Jean-Christophe descend , et au prix d’une oppo acrobatique se rétabli sur un bloc qui émerge de la vasque . Je reste en haut pour lui renvoyer l’extrémité de la corde , car elle est trop courte et pend dans la cascade , lui évitant ainsi de se baquer à la remontée , ce qui au demeurant ne me dérangerait pas plus que ça . La galerie fait un coude quelques mètres plus loin et je le perds de vue . Pas pour longtemps . Il s’est arrêté en haut d’un nouveau puits qu’il estime à huit ou dix mètres , c’est toujours grand , ça continue .
Sauf pour nous . C’est fini pour aujourd’hui .
Nous remontons en déséquipant . Quelques photos , sinon on ne nous croirait pas , et nous revoila au bord du lagon . Le premier plaisancier passé renvoie la pirogue qui , poussée par le zéphyr , vient élégamment s’échouer sur la grève (Mais non Jacques , rendors toi). Dans ce sens là c’est fastoche . Roger nous attend encore et se les gèle . On rentre au camp en courant pour se réchauffer , et nous y sommes moins d’une demi heure plus tard .
Un brin de toilette , un peu de ménage , une bonne soupe , et au lit .
Lundi 21 .
Le temps de tout ranger , il est dix heures et demi quand nous décollons , chacun traînant un kit .
Les curieux diront : c’est bien beau tout ça , trois jours au fond , mais pour caguer ,
comment ça se passe ? C’est très simple . Un journal , n’importe lequel , selon ses goûts ou
au contraire ses répulsions , un sac genre congélation et le tout dans une bite à carbure bien fermée . Il ne reste plus qu’à trouver une petite place dans le kit , entre le casse croûte et la recharge de carbure , ainsi on ressort tout de la cavité . ( Je me disait aussi , on a déjà eu droit à tout , mais pas au couplet scato ...)
La remontée se passe sans problèmes , faut pas s’affoler . On déséquipe le puits des trois cloches - la ficelle de huit millimètres passait trop bien dans les descendeurs - et le puits des coquillages - plus de deux ans dans la Taupe et la corde commence à faire la gueule - arrêt casse-croûte après le méandre du Pop-Oc , et à dix-huit heures trente nous voilà dehors .
Sous le soleil .
Retour au camion , commentaires , projets , toilette (succinte). On n’ouvre même pas la roteuse qui nous attend depuis trois jours . Pas besoin de ça pour parfaire notre bonheur .
Il est dix-neuf heures cinquante-cinq quand nous frappons à l’huis de Nathalie et Stéphane . Un grand type hirsute , une cuillère en bois à la main vient nous ouvrir : « je me présente , Richard Maire » . « Enchanté » . «Montez , tout le monde est là haut , moi je fait la cuisine »
Quand un géologue prépare la bouffe , qu’est-ce qu’il mitonne ? Des lentilles , sans les trier ? Un pavé de bœuf ?
Nous racontons notre virée . La rivière que nous suivons maintenant commence à être un drain important du massif , il serait peut-être intéressant d’effectuer une coloration . Tout en se malaxant la poitrine , Nathalie nous indique - vaguement - la marche à suivre . Nous restons sur notre faim .
Puis retour vers Limoges , des rêves plein la tête , en attendant de pouvoir redescendre à la Toussaint .